Isabelle VENET, pour qui l'action de peindre et celle de vivre sont inséparables. Disons qu'elle peint depuis toujours, et que cette rage de peintre l'a amenée à la pratique tellement humble, et combien exigeante, de la reproduction.
De Breughel à Van Gogh, en passant par l'Italie et sans doute le Palais Pitti à Florence. Elle en arrive à l'Art de la bâche, partagé avec sa soeur. Car Isabelle Venet a d'abord travaillé dans le « boubou » africain,créant des modèles, travaillant les étoffes, compulsant la littérature et l'iconographie indispensables. L'Afrique l'imprègne et on la retrouve dans cette peinture tout à fait actuelle dans laquelle on découvre des superpositions, des patchworks de couleur et des signes élémentaires.
Nous tombons d'ailleurs d'accord sur le caractère rupestre de ses signes dont certains se font annonciateurs d'écriture, non pas dans un esprit de calligraphie fort à la mode, mais dans la recherche d'émotions primitives.
Celles qu'ont dû éprouver les explorateurs qui ont découvert les gravures rupestres du Tibesti ou, plus modestement, celles que l'on peut éprouver en traversant La Vallée des Merveilles. 
C'est donc une peinture sensorielle où se mélangent des traces paysagères, des matières évocatrices comme le sable, des teintes chaudes et terreuses rappelant les colorants naturels, des bleus renvoyant à la mémoire mauresque du désert. Quant à la démarche globale, elle n'est pas conceptuelle, mais matricielle car c'est l'acte de peindre qui crée l'intention et non le contraire, ce qui explique, en partie, une densité, voire une pléthore de signaux et de matières. Elle a une méthode, elle suit des rythmes déterminés. Car l'artiste recommence et recommence encore jusqu'à l'obtention, non pas d'un résultat souhaité, attendu, mais d'une émotion désirée et enfin révélée.

 

Bruno Lestarquit
Critique d'Art
TOURNAI BELGIQUE
 

Poèmes picturaux aux multiples regards d’Isabelle Venet


Voguer en quête d’un ailleurs où les frontières s’émulent à des rivages bohêmes, là où l’air, à la saveur d’épices et de soleil, se mêle au souffle frais et pur des montagnes, là où le vent, goûtant la terre et le sable, se féconde à la confluence de la brise humide des océans. Un ailleurs qui, lorsqu’on s’y rend, nous fait l’immense présent de pouvoir renouer avec la partie oubliée de nous-mêmes, celle qui ne se découvre que lorsque nous sommes face à l’inconnu et à la beauté brute, celle qui nous ancre définitivement dans la nature et dans l’humanité. De la matière et des pigments naissent alors des visages et des corps empreints de leurs histoires, de leurs coutumes et de leur spiritualité, telles les traces gravées en la nature qu’a laissées l’aube de l’humanité. Le monde susurre une mélodie que seul l’esprit nomade et libre peut révéler, une ode qui ne retient que l’essentiel : nous sommes une partie d’un tout, nous sommes uniques mais tous semblables à l’intérieur.

Isabelle Venet transmet dans ses œuvres les résurgences émotionnelles de ses voyages et ses interrogations face à ces horizons nouveaux, ses rencontres de personnes aux multiples cultures, aux multiples desseins, aux multiples regards. Travaillant de manière spontanée, l’artiste est à la recherche d’une authenticité de l’émotion, puisant au plus profond d’elle-même pour se libérer enfin sur la toile. Un défi qu’elle choisit d’aborder plastiquement par le « construire, déconstruire et reconstruire » afin de ne garder que l’essentiel. « Tout acte de création est d’abord un acte de destruction » écrivait d’ailleurs Pablo Picasso. Isabelle Venet fait appel à une pléthore de techniques et superpose des matériaux et médiums éclectiques : enchevêtrements de papiers déchirés, de matières telles que le sable fin du désert, marouflages, gravures, grattages, encre de Chine, peinture acrylique, etc. L’artiste fait danser la matière en des effets de textures et de reliefs, marque le tempo des couleurs et de leurs contrastes, insuffle une cadence aux formes et aux signes qui se heurtent et se lient dans des compositions définitivement empreintes de rythmes. La forme s’inscrit dans le fond et le fond surgit dans la forme, le tout dans un rapport d’harmonie.
« La peinture est comme l’homme, mortel mais vivant toujours en lutte avec la matière. » écrivait Paul Gauguin. Dans la série « Visages d’ailleurs », le travail de la matière ouvre à un monde de détails et apporte une facture rupestre qui laisse émerger des figures au style épuré, synthétique et primitif. Appréhendées dans leur intégralité, les compositions semblent abstraites où les formes géométriques et les espaces de couleurs s’agencent et s’équilibrent dans une tension picturale jouant avec la sensibilité et la sensorialité que dégagent les contrastes de couleurs. Une palette naturelle d’ocres et de terres, de gris subtilement colorés se voit ravivée par la luminosité de couleurs pures et énergiques, des rouges ardents, des jaunes-orangés éclatants et des bleus intenses qui renvoient aux teintes des étoffes africaines et indiennes multicolores.
Les séries « Femmes » et « Hublots » sont composées d’une forme circulaire et centrale dans laquelle une pléthore de collages, de couleurs, de formes et d’écritures attirent le regard en son centre. Les visages et les nus sont affublés de lignes graphiques très nettes qui tranchent avec ce dédale pictural. Autour, seule la charge expressive de la matière ou de la couleur s’exprime, tels des silences picturaux contrebalançant le boléro visuel du noyau. Le travail sur les couleurs insaturées qui semblent dominer plus particulièrement dans les « Femmes » apporte une sensation de quiétude, de tendresse et invite à l’introspection, à un retour sur soi. Quant aux « Hublots », ils agissent telles des ouvertures sur le monde incitant à regarder vers l’extérieur avec curiosité et intérêt.
 La série « Portraits de femmes » part à la rencontre de différentes effigies féminines telles une geisha, une migrante, une bouddhiste et une femme écriture. « J’ai imaginé une rencontre de ces femmes sur un quai de gare...» explique l’artiste. Chaque portrait révèle la présence de signes, des graphies utilisées non seulement comme formes plastiques de la composition, mais également pourvues d’un sens qui s’avère symbolique : il s’agit de véritables paroles de chansons d’amour d’artistes occidentaux tels qu’Edith Piaf. Agissant alors comme lien entre ces femmes, ces écritures les relient aussi à Isabelle Venet elle-même. Au-delà de la réunion de ces personnages féminins aux parures et coutumes distinctes, l’artiste part à la recherche de sa propre identité. Puisant à travers ces femmes une partie de chacune, leurs différences comme leurs affinités, Isabelle Venet semble alors vouloir se redéfinir elle-même.

Pérégrinant entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe, naviguant sur la multiplicité des peuples et de leur culture, traversant les époques de celles où l’homme gravait encore sur le roc les traces de son passage à celle des avions et des trains, les œuvres d’Isabelle Venet reflètent son cheminement intérieur qui se fait par son regard sur les mondes extérieurs. Ainsi, la peintre transcende toutes les frontières qu’elles soient géographiques, spirituelles, culturelles, temporelles, identitaires mais aussi artistiques. Vagabondant entre abstrait et figuratif, les œuvres matiéristes d’Isabelle Venet présentent un caractère primitif et spontané. L’art brut doit « naître du matériau (…), se nourrir des inscriptions, des tracés instinctifs (…) » écrivait Jean Dubuffet. Son travail intuitif est cependant soutenu par des techniques, des compositions et une démarche plastique élaborées. Oscillant entre destruction et construction, douceur et côté brut, sérénité et énergie, ces œuvres jouissent d’un équilibre des paradoxes pour atteindre une harmonie, une vérité émotionnelle et se révèlent comme étant d’authentiques poèmes picturaux dédiés à l’évasion pour une meilleure compréhension du monde, des autres et de soi.

Sarah Noteman

critique d’art

Paris